Respirer, flairer, séduire, juger, jalouser, espionner… Le nez, souvent négligé, concentre pourtant les plus grands paradoxes de notre humanité. Entre nature, culture et artifices, retour sur un organe aussi vital que symbolique.
Au commencement, selon le récit biblique, Dieu insuffla le souffle de vie dans les narines de l’homme. Dès cet instant, le nez devint bien plus qu’un simple appendice au milieu du visage. Il devint l’entrée de la vie, le carrefour des sens, le siège d’une mémoire invisible : celle des odeurs, des ambiances, des émotions.
Nous respirons par le nez. Oxygène à l’inspiration, dioxyde de carbone à l’expiration : un échange discret mais fondamental. Qui ne respire plus, ne vit plus. Et pourtant, combien parmi nous prennent réellement conscience de cette porte étroite entre la vie et la mort ? Chaque milieu a son odeur. Chaque être vivant porte la sienne. Le rat, la rose, le quinquéliba, le chien, la pluie. Tous imprègnent en nous une empreinte olfactive éternelle.
Mais au-delà du biologique, le nez est aussi un marqueur identitaire. Il est droit, crochu, busqué, épaté, aquilin, évasé, pointu, plat, en bec d’aigle ou en entonnoir. Chaque peuple, chaque individu porte sa signature nasale. Une singularité qui, hélas, devient parfois un sujet de honte, de moquerie, voire de rejet de soi.
Marcel Proust, avec sa subtilité coutumière, disait du nez qu’il est "l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise". Et il n’avait pas tort. Le nez devient parfois l’instrument de notre aveuglement.
"Ne pas voir plus loin que le bout de son nez" résume cette étroitesse de vue qui pousse certains à se laisser manipuler, guider, berner.
Le nez devient aussi motif de conflit. Il suffit qu’un mot ou un geste "démange" pour que les esprits s’échauffent et que deux personnes en viennent à "se manger le nez". Dans un monde obsédé par l’apparence, des célébrités cèdent à la chirurgie pour redessiner un nez jugé trop ceci, pas assez cela. Ce fut le drame de Michael Jackson, prisonnier des moqueries paternelles sur la taille de son nez. Deux mots : "gros nez", auront suffi à faire chavirer une icône planétaire dans les abîmes de la transformation jusqu’à la tragédie.
Derrière ces interventions ratées, ces regrets silencieux, il y a des visages masqués, des existences abîmées. Certains, honteux, n’osent plus "mettre le nez dehors", de peur d’être jugés, moqués, exclus.
Et pourtant, le nez est aussi une arme, un radar. Les espions le savent bien : ils fourrent leur nez partout, flairent les secrets, traquent les indices, jusqu’à se retrouver parfois "nez à nez" avec le danger. Ils prennent des portes "fermées au nez", subissent des échecs mais gardent "le nez creux".
Car oui, le nez peut nous élever comme il peut nous abattre. Il est tour à tour notre allié et notre piège. Selon ce que nous en faisons, il peut nous ouvrir les porte du paradis… ou celles de l’enfer.
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